Septembre

Mardi 6 septembre
De retour à Paris, après cinq jours passés au château. Rhinite carabinée, annonce des fraîcheurs automnales, ajoutée à un sentiment de fond où s'interpénètrent la conscience du dérisoire et le frémissement de la révolte, n’entachent en rien la sérénité fondamentale qui détermine mes choix. Pourquoi ces choix ? Le nouveau bouleversement, fruit de la tendance kamikaze de Alice, éclaire le tableau.
Elle avoue hier à Heïm qu'elle est la maîtresse de Michel Leborgne. Quatre ans que Heïm dénonce le rapport ambigu et malsain entre sa fille et son collaborateur. Leborgne, remake du Fernandel un peu plus grand et un peu plus mou, que l'on apprécie comme copain, voire comme ami par sa gentillesse et sa bonhomie, est à un milliard d'univers de ce que Alice escomptait d'une rencontre amoureuse. Heïm, comme toujours, avait raison sur toute la ligne dans ses inquiétudes. Trente ans d'attente, tant de dénégations, de paroles terribles sur toutes formes de médiocrités pour arriver à se donner à ce gentil échoué.
Tous les problèmes financiers que nous traversons tiennent à cette intention de nuire, de saccager tout ce en quoi Alice a cru. Encore un incommensurable gâchis. Elle paraîtrait épanouie, heureuse, enjouée, l'amour est aveugle et l’excuserait, mais rien de tout cela. Le grotesque du couple, les mensonges accumulés, les contradictions fonda­mentales rendent cet événement terrible et dérisoire. J'aime profondément ma sœur, mais le glas a sonné sur sa qualité d'être. Je revoyais les petits dessins chargés de tendresse qu'elle improvisait sur un coin de page à chaque fin de lecture du premier tome manuscrit de mon journal, qu'aujourd'hui elle dit abhorrer ; je me remémore l'affiche où, petite princesse blonde, elle tient la main de son papa en campagne cantonale à Tours ; je médite sur toutes ces années de combat, de complicité, d'amour, côte à côte, tout cela pour ça.

Mardi 13 septembre
Je ne pardonnerai jamais à Alice son entreprise de démolition. Mon affection subsiste, mais tout autre sentiment d'estime ou de respect est souillé ad vitam. Personne n'est exempt d'erreurs, mais son attitude relève davantage d'une volonté de nuire à tout ce qui l'entoure : famille, amis, salariés. Son autodestruction est concomitante.
Comment, après tant d'années de dénégations horrifiées, de répugnance ressentie, a-t-elle pu se résoudre à cet ignominieux aboutissement ? Coucher avec le failli Leborgne (vous me direz : j'en suis un autre, mais à 25 ans et non 37), diffuser des propos atroces sur chacun des membres de sa famille dans d'écœurants chassés-croisés, s'appliquer à détruire l'outil de travail nous plongeant ainsi dans de plus graves problèmes financiers.
Je suis très loin de l'angélisme, mes échecs ont été cuisants et terribles pour la vie familiale et professionnelle, mais à aucun moment je n'ai été m'adonner en conscience à l'anéantissement de tout ce en quoi je crois depuis mes premiers raisonnements. Alice, elle, entretient ses ruines fumantes, cultive son tas de cendre. Le souvenir de l'Alice d'hier rend plus odieuse encore la peut-être future Mme Leborgne.

Fanfan, malgré une santé détériorée, peaufine ses interventions de fin de règne. Première confession réservée au margarineux Franz-Olivier Giesbert, insolite incarnation du Figaro de l'insubmersible Hersant. La seconde a pour prêtre le désopilant Elkabbach qui délaisse un temps ses oripeaux de président des France 2 & 3 pour titiller le chenu tuteur de la vraie France, celle qui jamais ne s'éteindra, ceci dit sans la moindre grandiloquence gaulliste.


Mercredi 14 septembre
Pour résumer les échanges entre Fanfan la Rose et Elkabbach. Les problèmes d’un cancer galopant sont abordés. L'homme se confie, sans voiler la douleur qui le ronge. Le courage est reconnu par une quasi unanimité. Visiblement amaigri, les traits émaciés, la voix affaiblie, Fanfan ne nie pas l'évidence : le refroidissement éternel n’est pas loin. L'agitation journalistique va certainement se focaliser sur l’éventualité d'une élection présidentielle anticipée et sur tous les petits suspens qui l'accompagnent.
Malgré cette maladie, Fanfan se montre plus à l'aise que jamais pour expliquer presque toutes les zones dénoncées de son passé contrasté : fricotage avec la droite, rencontre avec Pétain, amitié pour Bousquet, etc. Il n’autorisera cependant pas l'indépendant Elkabbach-pour-rire à l'interroger sur le faux attentat de l'Observatoire, sur la francisque acceptée avec bonheur, sur les fondements de certaines morts dénichées jusque dans l'antre élyséenne. Sans doute une santé pas suffisamment dégradée pour l’incliner à révéler toutes les vérités. A moins qu’une lucidité persistante ne l’en dissuade jusqu’au bout.
Certaines justifications laissent songeur : telle celle qui banalise sa fréquentation du prétendu criminel contre l'humanité, feu Bousquet. Selon l’optique mitterrandienne, la reconnaissance judiciaire, professionnelle et politique de son innocence aurait rendu incontournable l'acceptation de son pognon pour financer quelques campagnes.
En prolongeant son raisonnement, si seule compte la légalité face à la légitimité d'être, d'action ou de comportement, alors de Gaulle est vraiment un tartuffe, voire un traître d'avoir appelé à la rébellion face à un Pétain légalement en place, tout comme le deux fois septennal Mitterrand.


Jeudi 15 septembre
Toujours plus en trombe le temps qui passe.
Demain, arrêt à Amiens pour représenter Alice dans l'affaire l'opposant au cic comme caution de la sebm. Le 4 novembre prochain, toujours pour cette même société dont j'ai pris la gérance pour éviter tout souci à Alice, responsabilité naturelle donc, je risque d'être déclaré en faillite personnelle et d'être interdit de toute gérance pour quelques années. Je suis serein avec ma conscience, sûr d'avoir choisi le juste comportement dans l'endossement des drames et l'affrontement des tourments juridiques.
Pour ce qui est des événements familiaux, j'écrirais peut-être à Alice les lignes suivantes :
« Alice,
Saches avant tout que je ne suis en aucune manière animé par un sentiment de haine ni par une volonté de nuire.
Vois le terrible gâchis que tu as occasionné. Je parle en failli d'expérience. J'ai échoué lamentablement dans la suite heïmienne, mais jamais je n'ai en conscience souhaité saccager l'outil de travail et désespérer mes proches. C'est, bien au contraire, mon acharnement à mal recoller les morceaux qui a fait foirer définitivement l'affaire.
Victime de mes propres faiblesses et lâchetés sans doute. Mais pour toi, qu'en est-il de ta perdition dévastatrice ? Observe un peu, avec hauteur, l'univers que tu as créé autour de toi : il rejoint le plus glouton des trous noirs. Un néant nuisible, voilà ce que tu deviens.
Combien de fois t'ai-je entendu traiter Leborgne plus bas que merde et chiasse réunies ? Et voilà, comme par un hideux miracle, que tu écartes les cuisses devant lui ! Quelle nauséeuse tristesse. Par quel penchant, et pour quelle minable destinée ? Atroce extrémité qui te réserve une médiocrité généralisée.
Comment justifier ta stratégie d'empuantissement des certitudes de chacun d'entre nous par un discours haineux et calculé selon l'auditeur ? Propos ignobles, allusions scabreuses, révoltes malsaines et dérisoires, avec toujours, sous-jacent à ta dialectique, l'objectif irrésistible de créer le doute chez le prêteur d'oreilles. A quoi rime cette entreprise de démolition ? Où l'harmonie, la beauté d'être, l'éthique, la grandeur d'âme ont-elles un soupçon de place ? Kamikaze désaxé, tu prépares ta déchéance absolue.
Pour nous, tout est à reconstruire. Un début de monde encrassé par les difficultés colportées par celui en agonie. L'intérêt familial doit seul guider nos actes, quitte à ce que les conséquences en soient plus sévères pour toi. »


Samedi 17 septembre
Reprise des scribouillages nocturnes sur fond de décibel haute portée.
A nouveau croquer le lambda, faire surgir le sujet sanglant qui approfondira le contraste entre le lieu et la matière traitée : Fanfan et son cancer, Decourtray et sa divine extinction, les soubresauts balladuriens, toute cette flore qui favorise les fulminations du niqueur de qualité.
Avant tout, insuffler un ordre systématique à cette mixture blennorragique.
Fanfan a largement retenu mes attentions. Je n’y décèle plus aucune zone d'ombre. Si sa marque dans l’histoire s’avère conséquente, il ne peut faire accroire à une intégrité de jouvence. Les déviances de son parcours ne peuvent s’effacer, et ce malgré le pathétisme qu’inspire son état de santé et la réalité de son courage physique face à la maladie.

Vendredi 30 septembre
En partance pour la énième fois vers Valenciennes. Cette fois c'est le directeur de cabinet du maire, l'ombre Borloo, que je rencontre. La partie va être rude pour lui placer une centaine de Terreur rouge, contre l'avis du Conseil municipal à qui s'est colletée l'élue chargée des affaires culturelles.
Entre séduction et fermeté, un exemplaire du livre de Loridan dédicacé par mes soins au Jean-Louis précité, je dois souligner à mon interlocuteur la nécessité pour la mairie de ne pas se contenter d'un soutien moral, mais de mettre un peu la patte à la bourse.
Ma formule pour le député-maire aura cette tonalité : « En hommage à Monsieur le Maire, pour le dynamisme qu'il insuffle à sa commune dont j'ai partagé avec intensité la passion. Dans l'espoir que son soutien s'illustre jusqu'au bout... »
A Rouen, mon projet s'est débloqué d'un coup. L'action commando du 27 septembre s'achève avec la rencontre de M. A., adjoint au maire chargé des affaires culturelles. Majestueux bureau où il m'aborde à brut : « Pour les finances, combien il vous faut ». Avis favorable de ses deux chefs de services, Mlle R. et Michèle G., préface de l'incontestable autorité, le professeur Claude M., il débloque les fonds sans sourciller. Il va même jusqu'à appeler devant moi le sieur H., son identique au Conseil régional, pour le rallier à son soutien : « Je ne sais pas ce que vous ferez mon cher, mais moi j'y vais... » conclut-il.
A la sortie de l'imposant hôtel de ville, je suis saisi d'une euphorie générale, depuis la bouille jusqu'aux jambes qui m'imposent une course improvisée.
A l'occasion de cette journée, déjeuner avec Thierry L., fils de la sœur de Heïm, notable de la ville, un des quinze huissiers pour le demi million d'habitants de Rouen et sa banlieue. Bête de travail, impitoyable avec son personnel (neuf personnes actuellement), il doit cumuler les casquettes de chef d'entreprise et d'officier ministériel. Il me confie quelques noms et adresses pour le sponsoring du Clérembray, parmi lesquels le premier Président de la Cour d'appel, à la tête d'une association sur l'histoire de la Justice.
Au château, les contrastes s'intensifient. Les journées du patrimoine (17 et 18 septembre) auxquelles nous avons participé, se sont magnifiquement déroulées. Nous avons édité pour l'occasion un superbe livret sur la presque millénaire seigneurie d'Au. La photo couleur de Heïm choisie pour la couverture transmet, à l'authentique, la fibre inspirée de la propriété. Tout ce qu'il me reste de surcroît d'âme, je l'investirai dans ce lieu véritablement touché par la grâce.
Autre bonheur : le trio juvénile qui nous rend visite au château, adorable sans retenue. Sophie la blonde (8 ans), Sabrina la châtaine (10 ans) et Yvana la brune (8 ans), telles des Pim Pam Poum, éclairent de leur jeunesse les recoins séculaires du domaine.
Alice se cabre dans son délire destructeur. L'horreur affective et matérielle qui en résulte réduit de jour en jour l'éventuelle chance d'une prise de conscience. Cumul de nervosité, d'affection verbalisée, de désespoir incontrôlé, de détermination illogique... Le drame est absolu. Il me faudrait y consacrer des pages et des pages tant l'entaille à notre vie est profonde.

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