Décembre

Jeudi 1er décembre
6h38. Je quitte à
nuitée le château. Je prolonge mes séjours pour le plaisir et pour une plus grande efficacité professionnelle.
Mardi après-midi, descente commando à Liesse, bout de village de quelques centaines d'âmes. Mission : dénicher quelques sponsors pour l'ouvrage que nous avons choisi de rééditer. L'urgence préside mes pas dans les artères et veinules locales : l'œuvre de Combier paraît avant la Saint-Sylvestre. Entre autres entrevues, celle avec les délicieuses cloîtrées du Carmel, auditoire attentif à mes explications. La sérénité du lieu et la gentillesse des sœurs me réconcilient un instant avec l'idée de la piété.
Heïm a sorti le troisième numéro du Petit journal d'Au. Le croquis y représente le maire déguisé en sapin de Noël. Cela va faire frissonner dans les chaumières. En réponse à la feuille d'humeur « contre les méchants et les sots » un parangon de cette espèce a déposé incognito, dans notre boîte aux lettres, une longueur de papier toilette.
François Richard via Heïm avait déjà longuement répondu aux insanités du premier magistrat de la commune. Je vais étudier la procédure et la motivation requise pour assigner le conseil municipal devant les juridictions correctionnelle et administrative. Au plaisir de destituer ces mauvais républicains.
Une émission spéciale de Capital sur M6 synthétise le système Tapie. Extraordinaire impression de fragilité de l'empire, tout entier fondé sur le charisme de l'entrepreneur et sur l'engagement sans retenue de sa peau et de celle de son épouse. Toutes les sociétés du Groupe appartiennent à une SNC dirigée par le couple. Revers de la puissance de direction : une responsabilité solidaire et indéfinie. L'effritement se confirme hier soir avec la mise en redressement judiciaire des entités commerciales. Pour Tapie, une seule obsession : éviter la faillite personnelle qui s'accompagnerait de l'inéligibilité pour cinq ans. Probable magouilleur, mais ni plus ni moins que le commun des mortels, il surnage par cette capacité à combattre sans relâche. Les craquements émotionnels ne doivent pourtant pas manquer dans l'intimité familiale. Sa fulgurante trajectoire a peut-être été bâclée dans ses fondements pour pouvoir résister au temps et aux trifouilleurs professionnels, fort de leur hermine.

Mercredi 7 décembre
Je vais revoir ma Lutèce abhorrée. A nuitée matinale le train réchauffe les courants hivernaux.
La Terreur à Rouen revient de Tchécoslovaquie, cette semaine. Je vais lancer la machine promotionnelle pour que ce titre soit un succès éditorial. Pour les commandos-sponsoring, ma prochaine destination, le 15 décembre, sera Belfort. La situation financière est des plus dramatiques, et il faut de toute urgence nous battre comme des forcenés pour espérer renaître.
Drame atroce en Andorre, charmante principauté entre la France et l'Espagne, et dont Fanfan mité doit être encore pour quelques mois le cosuzerain avec une dignité espagnole. Un chauffeur de poids lourd perd le contrôle de son véhicule dans l'artère pentue et principale de la ville. A toute allure, il fauche les bagnoles et les passants, poursuit sa descente sur le flanc, détruisant les devantures de magasins achalandés. Bilan : 9 morts et 51 blessés comme cette petite fille de trois ans qu'il faut amputer d'une de ses jambettes. Horrible, immonde. Le criminel poids lourd avait l’interdiction absolue d'emprunter cette voie urbaine. Encore une fois, la saloperie d'équation rendement-rentabilité prime sur tout.

Dimanche 11 décembre
Ce soir, à l'émission 7 sur 7 d'Anne Sinclair, Jacques Delors se grandit d'une attitude gaulliste. Poussé de tous côtés pour se présenter à l'élection présidentielle, il ne cède pas aux hystéries socialistes et n'arrête pas sa décision sur les relents de sondages plus ou moins fiables et changeants. Il ne se présentera pas devant les électeurs. L'intime conviction sur sa situation personnelle d'homme vieillissant, de technocrate de qualité et non d'homme de pouvoir, son jugement sur la situation politique française et sa volonté de ne pas s'associer aux semeurs de perlimpinpin pour finir en roi fainéant, ont pesé dans sa digne renonciation. Rien ne m'attire chez Delors, mais là je mets chapeau bas devant la noblesse du comportement.

La tronche des responsables ou des figures du PS, interrogés à chaud, ne laisse aucun doute sur le coup de massue chopé : Lang délaisse un instant son sourire de parade sans pourtant se laisser aller, devant les micros et les caméras, à la tragédie ; la tronche ravagée, Emmanuelli planifie l’échec ; le pontifiant Jospin contient sa rage.


Lundi 12 décembre
Emotions extrêmes aujourd'hui.
Après un repas prolongé par quelques délices alcoolisés, Heïm et moi sortons faire quelques pas dans le parc du château. Les deux ouvriers, Cannes et Ras, poursuivent la réfection du toit, avec une obstination sans faille. Nous partons faire quelques pas dans la plaine avec les trois chiens, magnifiques bêtes en mouvement. Les couleurs envoûtent et séduisent. Les problèmes financiers sont abîmiques, mais la beauté de vie est là, sans faille.


Mercredi 14 décembre
Toujours au château, sis au fond de mon plumard à 22h39, Lenny Kravitz sous mon gros casque.
Côté pro, j'annule mon voyage à Belfort pour demain. Je me contenterai du bigophone pour le rendez-vous avec l'adjoint chargé des affaires culturelles. Les entreprises de plus de 50 salariés ne jouent pas le jeu de la sponsorisation. Le tissu économique m'apparaît trop frileux pour que j'engage des frais de déplacement. Si la mairie m'ouvre ses bourses et gueule son enthousiasme, je tenterai l'action commando sur les lieux.
Cet après-midi, longue conversation avec Heïm, entre quelques verres de Bison flûté (trois gros glaçons, un gros tiers de vodka à l'herbe de bison, deux petits tiers de Coca et un index pour remuer en tapotant le glaçon émergé). Réflexions sur les drames actuels de notre vie, les manquements de chacun, les actions à mener, les solutions pour sortir le pays de sa merde ambiante et grandissante. Grande leçon humaine pour moi, comme lors de tous mes entretiens avec Heïm. Innombrables conseils, réflexions, intuitions que je ne garde qu'en mémoire et pas dans de plus sûrs endroits.
Quelle médiocre écriture, ce soir. Pas inspiré pour la forme.
Au détour d'un zapping, je découvre sur France 2 l'émission Bas les masques sur les putes de films X, de peep show, etc., depuis celle qui ouvre ses jambons par plaisir à celle, amère, débile légère, qui nous explique son parcours. Ces pauvres jeunes femmes, au summum de la libération sexuelle, n'ont pas l'allure de demoiselles épanouies. Pauvreté intérieure. Pauvres filles gâchées pour la vie.
De quel rapport humain suis-je capable ? Au-delà d'une sensibilité aiguisée, quel genre de barbarie germe en moi, lorsque j'assiste à l'étrange ballet puant des hommes ?
Vingt-cinq berges, bout de rien je reste. Gâchis d'une ambition, je me reconstruis peu à peu. Il me manque cette fulgurance qui élance vers les cimes de toute chose.


Vendredi 16 décembre
La belle bête Tapie aurait-elle rendu l'âme ? Point un enfant de chœur aux dentelles catholiques, je suis malgré tout instinctivement porté à me mettre du côté de celui qui est exposé aux charognards médiatiques.
Quel journaliste peut s'arroger le droit de lyncher, d'écharper et d'achever l’agonisant ténébreux ? L’infection de certains milieux de la presse pourrait bien surpasser celle de l'affairiste.
Magistrats et journalistes : voilà ceux qui devraient craindre de devenir les cibles d'un éventuel retour à la barbarie.


Dimanche 25 décembre
23h49, du fond de mon lit, au château d'Au.
Un Noël sombre s'achève, émanation de la terrible année 1994 qui touche à sa fin. Le repas du réveillon n'a pas apaisé les désespoirs de Heïm. Jusqu'à quatre heures du matin, Karl et moi écoutons notre papa de cœur qui, vingt-cinq ans avant, nous a dispensé de crever à l'état embryonnaire sur une couche ou au fond d'un bidet.


Lundi 26 décembre
Depuis samedi, quatre Algériens retenaient des otages dans un avion. Action remarquable du GIGN.


Mercredi 28 décembre
Faiblard de la plume ces derniers temps. Pourtant l'actualité présente une hotte pleine d'événements et les atours perso-pro ne s'affadissent pas.
La trêve des confiseurs, conseillée par le bon Pasqua, est pour l'essentiel respectée. Les médias se sont focalisés, à juste titre, sur la prise d'otages dans un Airbus d'Air France par quatre Algériens à l'Islam exterminateur. Magnifique action du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale, après l'assassinat de trois passagers et l’atterrissage sur l'aéroport de Marignane-Marseille. Grande qualité de ces hommes.

Vendredi 30 décembre
Notes sur la décontraction humaine dans la vie nocturne en communauté.
Retour aux sources, sur les terres de l'Aquarium, pour figer les relations by night.
(Digression rapide. Depuis ce cocon ludique, je rends une fois encore un hommage aux valeureux hommes du GIGN. Non point que leur assaut relève de l'exploit surhumain, leur action commando est le fruit d'un extrême et rigoureux entraînement ajouté à un véritable courage physique, à cette capacité de dominer la peur de se faire descendre comme à la foire. Pour anéantir le quarteron de terroristes, il convenait d'afficher une détermination sans faille. Objectif : éliminer l'ennemi, préserver la vie des otages. Fin de la digression.)
Bien vide, le lieu pour l'instant (23h30). Va-t-il enfin s'amener quelques spécimens que je puisse charcuter à souhait pour aiguiser l'étude en cours.
Le peuplement est actuellement en majorité masculin. Pas ragoûtant pour l'essentiel : un trio de blancs-becs en attente de la fumeuse fumelle, un gras aux bouclettes collées... Le sous-sol de la séduction part sur de mauvais fondements.
En mélodie, un agréable moment : la reprise par un noir américain de Your Song d'Elton John. Un délice pour les cordes vocales et la luette qui tremble sans fatigue.
Bientôt minuit. Hormis les ouvreuses, quasiment pas de femmes présentes.
Deux donzelles s'annoncent lianes noires : classicisme des tenues. Pour en bas une mini jupe noir, en haut de légères étoffes blanches pour choper les phosphorescences. De bonnes bouilles et des formes agréables. Deux cœurs ou deux culs à prendre ? Le cumul serait parfait.
Nouvel arrivage : une jeune fille courte sur pattes, avec gros popotin en sus, accompagnée de deux gars, l'air gentil, un blanc et un noir pour le contraste.
Rien de bien grisant. Les entrées s'accélèrent an rythme plus soutenu sur les baffles. Personne ne déambule sur la piste. Les groupes déjà formés à l'arrivée s'organisent autour de petites tables rondes.
Inachevé

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